Musclé, svelte, fort, charmeur, souriant. Je suis el hombre qu’il te faut, ma chérie. Ou mon chéri, tout dépend de qui me lit. J’préfèrerais que ce soit una chica.
Qué guapo. Ouais, j’plais aux filles, apparemment. Quelques jolis mots, un sourire charmeur, et elles sont dans votre lit. Sûrement que ça marche pas comme ça avec tous les mecs. Ni avec toutes les femmes d’ailleurs … Mais j’ai un truc. Un magnétisme. Non, j’suis pas spécialement beau. Pas selon les normes. Pas comme ces tapettes de Hipsters. J’ai aucun style particulier, disons que maintenant, je survis avec ce que j’ai sur le dos. Camiseta déchirée, jean déchiré, chaussures solides. Assez solides pour éclater des crânes à coups de talon s’il le faut.
Et puis je suis crade. Puta madre c’que j’suis crade. Avant toute cette mierda, la saleté m’dérangeait pas spécialement, disons que j’étais pas vraiment gêné si je devais me doucher qu’une fois par semaine. Mais bordel. Avant, j’étais un modèle d’hygiène irréprochable comparé à aujourd’hui. J’essaie quand même de me démerder pour pas ressembler à ces bouffeurs de cervelle quoi. Malgré tout, j’fais peur à voir. Comme les autres survivants, mais bon. S’il faut être présentable en plus d’être poli, maintenant, autant que j’crève tout d’suite hein. Déjà que j’l’ai jamais vraiment été.

J’sais pas vraiment si j’dois trop en parler, d’ça. T’as déjà bien dû réussir à me cerner. On m’traite de connard, d’égocentrique, d’animal. J’ai été affublé de noms bien pire encore, pauvre de moi.
Non sérieusement, tu peux m’juger tant qu’tu veux, j’en ai strictement rien à foutre ! C’est certainement pas ça qui va changer ma vie. Et j’ai d’comptes à rendre à personne, fin presque.
Pour résumer, les meufs vous diront que j’suis un macho et un salopard. Un sale type, manipulateur, peu romantique, infidèle, violent peut-être. « Un connard ». Les types vous diront pareil. Même si j’cherche pas forcément à être romantique avec eux, et ça s’comprend. Quand on voit las gilipollas que j’me traîne, franchement. Au moins j’leur impose le respect, à eux, c’qui est pas toujours le cas avec las chicas. J’pige pas. C’qu’elles prennent pour d’la violence, pour moi c’est de la fuerza, du courage. L’infidélité, juste des besoins vitaux pour un mâle en fait. Si j’ai aucune satisfaction avec elles, pourquoi s’étonner que j’aille voir ailleurs ?! Le manque de romantisme … Déjà qu’c’est prise de tête, ça, si en plus j’dois m’forcer à les aimer, bordel.
Et puis … Mierda. Les gens peuvent bien me reconnaître quelques qualités, quand même. Ma persévérance, mon expérience dans la baston, les armes, les affaires d’arnaques, mon silence quand il s’agit de fermer la gueule face aux flics, ma motivation.
En gros, j’ai l’cerveau idéal pour survivre.

Une enfance heureuse. ~

Tengo 5 años. Je suis dans la chambre de notre appartement deux pièces, avec mon petit frère de 2 ans. J’essaie de calmer les pleurs du pequeño. J’entends Mama crier sous les coups de Papa. Mama, elle a toujours eu du caractère. Mais à quoi sert un fort caractère contre des beignes dans la gueule ? Je pleure, moi aussi. Comme Mama, comme mon petit frère Rodrigo. Mais je me jure que c’est la dernière fois. La última.

Tengo 7 años. Un type, Pedro, un amigo de Papa, que personne n’aimait dans la famille, parce qu’il est toujours de mauvaise augure, vient à la casa. Sa tête d’hypocrite, déjà bien moche, est défigurée par une grimace semblée représenter la tristeza. Ses habits, sont, à son habitude, dégueulasses. Pleins de crasse, de sueur, et … de sang. « Qué ha pasado ?! », s’enquiert Mama, que l’angoisse fait parler en Espagnol. « Enrique est mort, abattu par estos hijos de puta de Guadalajara Cartel.» Il nous apprend qu’il s’est pris une balle dans la jambe, puis s’est fait exploser la gueule à coups de parpaing. Je ne pleure pas. Mama non plus. Pendant quelques jours, el silencio règne à la maison. Puis la vie reprend son cours, avec pour seul changement que Mama peut mettre des t-shirt à manches courtes et des shorts, et n’est plus obligée de porter des lunettes de soleil.

Tengo 10 años. Je joue au foot avec mis amigos du quartier. Comme tous les gosses, j’adore le foot. Mais j’ai déjà envie d’autre chose, quelque chose de plus grand, et qui pourrait aider Mama par la même occasion.

Tengo 13 años. Je joue encore au foot. Mais cette fois-ci, je vois Pedro s’avancer vers moi à travers le terrain vague. Je l’ai pas revu depuis qu’il nous a annoncé la mort de Papa, et j’ai pas envie d’le revoir encore. Cette fois-ci aucune expression triste sur son visage, mais plutôt une expression mielleuse. J’ai soudain de moins en moins envie de le revoir. Alors je fuis. Après quelques secondes, je me rends compte qu’il me suit, et de près. De trop près. El miedo s’empare de moi. Enfin, il me rattrape, et me serre le bras à le briser. Les larmes me montent aux yeux, mais je refuse de les laisser couler. « Ecoute, petit, tú padre était un atout dans le gang. Tu dois lui succéder, sinon nous n’aurons plus aucune raison de protéger tú familia. Tu peux bien faire ça pour eux, hein ? Pour Mama, et le petit Rodrigo. Tu voudrais pas qu’il leur soit fait du mal, hein ? » Je recule autant que je peux. Son haleine fétide et ses chicots moisis me donnent la nausée. A cet instant précis, la seule chose à laquelle j’pense, c’est que j’deviendrais jamais comme ça. Mais je l’ai quand même suivi. J’veux dire, je l’ai quand même laissé m’entraîner en el infierno.

Tengo 17 años. Je suis au lycée. Le lycée, c’est les seules études que j’aurais jamais l’occasion de faire, alors je travaille autant que je peux. Faut dire qu’entre le gang, les histoires de drogue, le foot que j’tarderais pas à abandonner, ben ma moyenne plafonne à 11. Mais c’est plus que suffisant. J’enchaîne las compañeras – pas avec des chaînes, hein –, toutes plus estúpidas les unes que les autres. Faut dire que j’ai pas trop d’mal à les draguer quoi, j’suis un peu le fantasme des trois quarts des nanas. Bah quoi ? Un type musculoso, bronzé, un peu violent, tout ce qu’elles aiment, ces autruches. J’dis autruches parce que j’suis gentil hein.

Atlanta. ~

Tengo 25 años. J’ai décidé de quitter le gang. Seulement, y’a une espèce de test, pour vérifier qu’on s’en sortira sans les autres membres du gang. Ces mêmes membres, qui étaient comme mis hermanos pendant plus de dix ans, doivent me passer à tabac. Chacun leur tour. Si je suis encore vivant après le test, je pourrais partir. Sans surprise, je passe le test avec succès. Sans surprise, mais avec  évanouissement et dents perdues. J’dois rester plusieurs semaines chez moi, Mama s’occupant de moi.

Tengo 27 años. Je laisse Mama et Rodrigo, enrôlé à son tour dans le gang, derrière moi. Et j’me casse pour Atlanta. Parce que, faut le dire, j’ai plus rien à faire ici. J’me trouve un pequeño boulot, un pequeño appartement, et j’recommence ma vie. Rapidement, je rencontre Marisa, une mexicaine au caractère affirmé et aux formes … atractivas. Pendant quelques mois, nous vivons une relation plus que fusionnelle. Mais j'l’ai jamais vraiment aimée. C’est con, hein. Parce qu’elle fréquentait un autre type. Beaucoup trop musclé, grand et violent pour paraître humano. Et que ce type, jaloux et blessé dans son orgueil, a décidé de me blesser à son tour. Mais pas d’la même façon. Il m’a laissé pour mort dans une ruelle vide, et j’aurais bien pu crever là si une vieille avait pas appelé les flics, qui ont à leur tour appelé le samu. Ouais, parce que la vieille, quand elle m’a vu agonisant dans mon sang, elle a pensé que les flics me soigneraient, peut-être.

Elle. ~

J’suis resté plusieurs mois à l’hôpital d’Atlanta. Deux jours après mon arrivée, j’me réveille, à moitié conscient, mais conscient d’être à moitié défiguré. La première chose que je vois, ce sont ses cheveux. Non, pas d’un blond dégueulasse comme les autres connes que j’me suis tapées. Mais d’un blond de la couleur des blés, du sable sur une plage paradisiaque, bref. J’pensais pas tout ça sur le coup non plus, vous vous en doutez bien. Visiblement, elle est juste venue chercher quelque chose dans la pièce. Quand elle s’aperçoit que j'la regarde depuis un petit moment, ses yeux s’ouvrent tout grand, puis elle se précipite vers la sortie sans rien m'dire. Avant qu’elle ne passe la porte, j'lance : « Elle s’appelle comment ? ». Elle se fige mais ne répond pas. C’bien ma veine, ça, de tomber sur une muette. Puis, après quelques secondes interminables, elle répond enfin : « Lyly. ».
Lyly. Ce prénom flotte dans l’air entre nous, comme une promesse. J’ajoute : « Elle reviendra ? ». Elle se tourne enfin vers moi, et plante ses yeux clairs dans les miens. « Non. Je suis au service de pédiatrie. » Sans rien ajouter, elle sort, me laissant là.

Mais elle revient. Une semaine plus tard, mais quand même. J'l’avais pas laissée indifférente, visiblement. Elle me fait croire que c’est pour chercher un truc, mais j'vois bien que c’est qu’un prétexte pour m'voir. Quand j'lui fais part de mes pensées, elle me jette que suis qu’une espèce de macho abruti et sort en claquant la porte. J'dois attendre encore une semaine pour qu’elle daigne revenir me voir, afin de me faire des excuses. J'les accepte et lui promet de ne pas lui en vouloir pour ça. Oui, j’arrive à ne pas être un macho abruti, des fois. Mais j'lui fais promettre de revenir. Et elle tient parole. C’est à partir de ce moment, de cette promesse, ou alors de l’instant où elle a dit « Lyly » et que nos yeux se sont croisés, que s’est tissé un lien spécial entre Lyly et moi. Quand j'suis sorti de l’hôpital, c’était pour sortir avec elle.

Notre relation n’a pas été aussi longue que j'l’espérais, quelques mois tout au plus.
Elle avait emménagé à temps partiel dans mon appartement. J'suis impulsif, et j’ai du caractère. Lyly en avait je crois encore plus. Si bien que notre relation, toute passionnée qu’elle fut, était entrecoupée de quelques disputes plus ou moins explosives. Tout s’était fait peut-être un peu trop vite. Toujours est-il qu’un beau jour, elle a rangé ses affaires, et s’est barrée. Ouais, comme ça. Quand j’ai voulu la retenir, elle m’a demandé, d’un ton froid et détaché, de n'pas chercher à la retrouver ou la revoir, qu’elle n’hésiterait pas une seule seconde à m'dénoncer à la police. Sur le coup, j'ai pas compris tout de suite de quoi elle m’accusait. Après ça, j'la revis jamais. J’allais donc me consoler dans le 90 E de Marisa, et redevenais le macho manipulateur et abruti que j’avais toujours été. Chassez le naturel, il revient au galop.

C’est mon frère qui m’a tout avoué. J'l’avais pas revu depuis que j’avais quitté le Mexique. Et là, voilà qu’il se pointe, la bouche en cœur.

« J’te promets, j’étais juste venu pour prendre de tes nouvelles et te ramener tes affaires … Quand j’ai trouvé ton appart, j’ai frappé, mais c’est cette blonde qui m’a ouvert. Je lui ai dit que je te cherchais, et quand elle m’a dit que c’était ta copine, sans réfléchir, j’lui ai sorti les sachets de coke en disant de te les faire passer. Et là elle m’a pris les sachets des mains, et m’a foutu dehors. Je sais pas ce qu’elle en a fait … »

Comme si j’allais m’inquiéter pour ça. Le passé ressurgissait, et mes erreurs m’explosaient à la gueule. Et ça faisait mal.
Mon frère. Trop impulsif, trop stupide, et trop honnête pour son bien. Enervé que Lyly soit au courant de mon passé peu glorieux à cause de ce stupide rejeton, je lui donnais la raclée de sa vie. Ce fut notre dernier dialogue.
Depuis cette période-là, je n’ai jamais su ce qui est advenu de Lyly, ou de mon frère.

Quand los muertos viennent foutre la merde.

Ca faisait quelques mois que j’survivais, entre mon p’tit boulot et les visites irrégulières de Marisa. Mais la vie avait la saveur de la cendre. J’étais constamment en manque. J’avais beau forniquer avec ma Mexicaine, m’remplir le nez de poudre blanche et fumer des trucs de plus en plus mystérieux, j’avais d’plus en plus la sensation de manquer de quelque chose. Et puis l’information est arrivée. Ils parlaient de mort-vivants, de cannibales, mais ça m’faisait plutôt penser à des terroristes légèrement déglingués. J’avais toujours eu un esprit rationnel, de toutes manières.
Avec Marisa, nous étions enfermés depuis quelques jours dans mon appartement. J’allais pas encore tenir longtemps sans l’étrangler… Et puis un appel est arrivé. Un appel terrorisé, de Mama.
« Pablo ?! Je suis coincée ici. ¡ La muerte está en mi puerta ! ¡ Ayuda me ! ¡ Pablo, yo voy a morir … Sácame de aquí, por favor … »
La suite se transformait en gémissements apeurés. J’pouvais pas laisser Mama comme ça. Mama qui m’avait élevé, nourri, qui s’était privée pour qu’on ait toujours quelque chose dans notre assiette, Rodrigo et moi. Rodrigo … Parlons-en. Où était-il ? Pourquoi laissait-il Mama toute seule ?
Je pris mon couteau – une jolie lame bien aiguisée d’une vingtaine de centimètres -, le flingue et les balles que j’gardais constamment dans un tiroir, toute la bouffe que j’pouvais emporter, et sortais, ignorant les supplications stridentes de Marisa. Qui me suivit malgré tout dans le couloir. On dut exploser la gueule à quelques-unes de ces saloperies dans les escaliers – il faut reconnaître que mon orgueil de rationnel en avait pris un sacré coup -, puis on arrivait enfin à ma voiture. Une vieille bagnole, un peu trafiquée qui dépassait les 200 km/h en terrain dégagé.
Heureusement, l’aéroport était pas trop loin. J’ai même pas eu à descendre au parking souterrain. C’était une telle cohue, dehors. Les gens se poussaient, criaient, grognaient. Impossible de distinguer les vivants des morts, dans ce bordel. C’est quand un zombie s’est mis à foutre des coups de tête sur le pare-brise et qu’il a commencé à se briser et à se couvrir de sang que j’me suis décidé. Entraînant Marisa avec moi, j’suis sorti de la voiture, ai buté les quelques walkers qui nous menaçaient, et on a couru. Par chance, on a trouvé des chiottes désertés, à part un ou deux morts. Bah. Ceux-là nous dérangeront pas au moins.
On s’est enfermé dans un toilette, le même, avec notre sac, notre flingue et nos couteaux. J’ai mis un temps à me rendre compte que les gémissements que j’entendais étaient ceux de la brune. J’lui foutais une claque, irrité, et regrettais aussitôt mon geste. J’ voulais pas avoir à être violent avec les femmes, comme l’était papa avec Mama.  
On est restés deux jours et deux nuits là-dedans, silencieux comme des tombes. Et puis on a entendu des voix, des coups d’feux, et des types sont entrés.