Il n'est jamais bon de trop fouiller, trop loin, dans la tête de quelqu'un, surtout d'Elias. Peu bavard, ceux qui l'ont côtoyés avant que tout ne change pour lui le connaissait plutôt bien, maintenant il n'est qu'un mur de silence. Si il parle, c'est pour dire des choses essentielles, il va droit au but, sans détour. Il ne se projette plus depuis très longtemps dans le futur. Il vit au jour le jour, je dirais même de secondes en secondes. Bien qu'à l'extérieur il n'affiche que très rarement ses émotions, il semble qu'au fond de lui, très loin derrière une multitude de barrières invisibles se tapit une rage assoiffée, un tourbillon de violences et d'émotions qui ne demande qu'à rugir. Et ses yeux en sont le reflets, toujours brûlant d'une soif immodérée de vivre, ce regard parfois bestiale qui est une fenêtre sur ses instincts les plus primaire.
Il a déjà tout perdu, bien avant l'arrivé des marcheurs, depuis bien trop longtemps. Pour lui ce monde de chaos n'est qu'une redistribution des cartes, pour lui rien n'a changé. Il a été taillé dans la violence, le sang, le désespoir depuis la perte de sa famille, depuis son arrivé en prison. Ce monde est toujours le même et il ne changera jamais. C'est un monde ou la loi du plus fort règne, ce monde ou c'est "oeil pour oeil, dent pour dent." Un monde où tu dois écraser tout ce qui se trouve sur ton chemin... Oui, sans culpabilité... Oui, si seulement les hommes n'était pas si faible, avec cette dualité en eux, ce qu'ils appellent "humanité" et les cribles de remords. Cette lutte incessante, Elias ni échappe pas et semble y être encore plus sensible, plus en proie à ces démons que n'importe qui d'autres.

Au final, derrière cette couche épaisse de brute, de personne sans remords, il y a cette faible flamme, comme un cadeau ou une malédiction lancée par sa famille perdu, la seule chose qui l'empêche de sombrer et de devenir aussi inhumain que ces marcheurs. Derrière cette rudesse il y a donc cette âme noble qui ne cesse de le harceler "Est-ce le bon choix? T'es sur que tu n'as pas le choix? Ce n'est pas une raison... Et si elles te voyaient maintenant? et si...." Il ne peut pas leur dire de fermer leurs gueules, même si il en a envie, il ne peut pas...

Si on devait commencer par quelque chose, ce serait de décrire l'endroit d'où je viens. Dans mes souvenirs, il n'y avait que des arbres immenses à pertes de vue, des petites routes de terre et un ruisseau passant non loin derrière chez moi. Je suis né à Jericho dans le Vermont, dans une maison comme on en fait plus, rustique, en bois, avec une cheminée pour nous tenir chaud. Mes souvenirs de cette période sont très vagues, j'y ai vécu mes plus jeunes années. Ce qui est étrange c'est que j'arrive encore, parfois, à sentir cette odeur de vieux pin qui régnait dans le salon, parfois accompagné de celle de la cheminée qui crépitait joyeusement.
Je ne pourrais dire quelles en sont les raisons, je ne l'ai jamais su, mais on déménagea pour se retrouver dans la grosse pomme, New-York. C'était une forêt de bétons et de verres et j'avais ce sentiment d'étouffer avec tant de monde dans les rues. Le vermont m'avait manqué, mais comme n'importe quel gosse, on fini par s'habituer. Mon enfance prit un grand tournant à ce moment là, peu de temps après nous être installés dans notre nouveau chez nous, mes parents périrent dans un accident de voiture.  A partir de là, j'étais devenu ce qu'on appel un enfant de l'état, un gamin sans famille, recueilli dans un orphelinat, puis amené de famille d'accueille en famille d'accueille alors que je savais à peine lire et écrire.

Je ne cacherai pas que j'étais devenu un enfant à problème, cherchant sans savoir quoi, ce quelque chose pour combler un vide immense en moi que rien ni personne n'arrivait à combler. Jusqu'au jour où elle arriva devant moi, élégante, un sourire magnifique aux lèvres. A notre première rencontre elle m'avait envoyé balader et cela n'avait fait que me rendre encore plus accroc. Je me suis toujours demandé si elle ne l'avait pas fait exprès. Quoiqu'il en soit, c'est à force d'acharnement qu'elle tomba sous mon charme. Du moins c'est ce que j'ai pensé, à vrai dire elle m'avoua avoir été séduite assez vite, mais qu'elle avait voulu profiter de toutes ces attentions au maximum avant de ne plus pouvoir tenir. C'est à elle que je dois tout le bonheur que j'ai eu dans ma vie, elle m'apporta beaucoup, bien plus que je ne le méritais et me motiva à aller toujours plus loin. C'est comme ça que j'ai fini par rentrer chez les forces de l'ordre, le N.Y.P.D.
Le fait de n'avoir jamais vraiment eu de famille m'avait rendu terrifié par l'idée d'en fonder une et je n'ai jamais autant paniqué le jour où elle tomba enceinte. Ma deuxième raison de vivre arriva au bout de neuf mois et je dois dire qu'elle était tout aussi magnifique que sa mère. Je passais ainsi les plus belles années de ma vie, avec elles.
Je ne sais pas si je dois maudire le ciel, le destin ou toutes autres conneries. Je m'en suis voulu pendant très longtemps, même encore aujourd'hui. Parfois, une pointe de regret m'envahit. Cette part de moi qui m'a été arraché, ne reviendra plus jamais, je le sais. Je suis comme vide à l'intérieur, en surface. Tout a commencé à cause d'une enquête sur un meurtre d'une pute, en arrivant sur les lieux, il y avait déjà d'autres flics, soit disant qu'ils étaient dans le coin et qu'ils avaient entendu les coups de feu. Peut être que j'aurais du fermer ma gueule, fermer à double verrous mon instinct de flic et cette fichu manie de ne jamais rien lâcher. J'avais fini par découvrir que ces types étaient des ripoux et ils ont fini par savoir que j'étais après eux. Ils m'ont menacés, ça n'a pas marché. Il m'ont fait du chantage et cela n'avait rien changé. J'avais était trop loin et c'était trop tard. Ils m'avaient piégés. Ensuite, ils avaient exécuté ma femme et ma fille. Et pour finir, pour être sur que je ne dirais plus jamais rien, ils se débrouillèrent pour m'envoyer dans l'une des pires prisons du pays, avec un paquet de types que j'y avais envoyé. J'ai tenu bon, j'ai survécu, défiant tous les pronostics. Je ne pourrai pas compter le nombre de fois où je fus tabassé, violé, poignardé, le nombre de fois où j'ai failli y passer. Cette rage en moi m'avait fait vivre, cette haine m'avait rendu invincible. j'avais fini par devenir quelqu'un de craint et de respecté à l'intérieur de ce cercueil de béton et de fer.
Puis la catastrophe arriva et je revis l'extérieur après quelques trop longues années. Ironiquement, rien n'avait changé. Les murs de la prison s'était juste élargis. C'était devenu un monde dans lequel j'étais comme un poisson dans l'eau. Rien de m'atteignait, enfin presque, j'avais déjà tout perdu bien avant tout ça. Je ne savais pas ce que me réservait l'avenir, mais jamais je n'aurait cru à ça...